L'église gothique fin XIII°

Présentation

L'Abbaye Saint Félix de Montceau, située dans un Site grandiose, dresse les imposantes ruines de son Abbatiale au milieu d'une forêt aux essences odoriférantes. Le monument, bâti sur un des premiers contreforts du Massif de la Gardiole, domine le village de Gigean, à mi-chemin entre Sète et Montpellier. De la route nationale et de l'autoroute, nous apercevons les hautes murailles séculaires de l'Abbatiale qui nous font penser plus à un château qu'à un lieu de prières.

L'Abbatiale, orientée Est - Ouest n'a pas révélé la date exacte de la construction. Toutefois, le bâtiment nous paraît être de la fin du XIII° siècle, voire au tout début du XIV° siècle. Les dimensions de la nef sont de 24,35 mètres de long sur 8,10 mètres de large et 13 mètres de haut environ. Quant à l'épaisseur de ses murs, elle atteint 1,85 mètres pour arriver à certains endroits à 2,25.

Lorsqu'on compulse les archives de cette ancienne Abbaye Bénédictine, on reste surpris par la taille de l'église pour une si petite communauté. En effet, les moniales n'ont jamais été plus de 28 à vivre dans l'Abbaye. La construction de ce magnifique ensemble architectural a été commandité par une Prieure dont nous ne savons malheureusement pas le nom, afin de pouvoir accueillir dignement ses consoeurs dans une demeure plus vaste que la petite chapelle romane, trop exiguë alors pour la communauté. D'autre part, il ne faut pas oublier que le XIII° siècle fut l'apogée de l'Abbaye, tant sur le plan spirituel que temporel.

Mais autant la première chapelle était étroite, autant l'Abbatiale fut grandiose. La communauté religieuse, enrichie par de nombreux apports financiers, dons, moulins, pâturages, vignes, messes pour les défunts, sépultures civiles, hôpitaux, dîmes, dots, fit édifier la Maison de Dieu avec de vastes proportions.

Il était courant à cette époque de construire l'église en fonction des revenus de la Communauté. Plus l'Abbaye ou le Monastère était riche, plus on élevait la Maison du culte avec magnificence, quelque soit le nombre de moines ou de moniales. Pêché d'orgueil ? A Saint-Félix sûrement, car on ne recevait ni Roi ni Prince, comme dans les grandes Abbayes du nord ou du centre de la France. De plus, les Abbayes de femmes ne recevaient aucun homme ni groupe de villageois durant leurs messes.

Revenons à son architecture. Les bâtisseurs qui l'ont réalisé ont utilisé la pierre de Pignan, calcaire tendre et coquillé. Malheureusement, la taille, extraite d'un premier lit, a été de mauvaise qualité, car la porosité et l'espacement granulaire a permis à l'érosion d'effectuer un travail minutieux de destruction, tel un pan de mur SUD-EST du choeur, qui a complètement disparu, heureusement soutenu par les pierres froides de la Salle Capitulaire, adossée à cet endroit, ce qui a sauvé de l'écroulement la plus grande partie du sanctuaire .

L'appareillage, fait de champ et de plat ou alterné, est caractéristique des constructions du Midi à cette époque. On l'appelle d'ailleurs : " l'Appareillage de Montpellier " . Les compagnons bâtisseurs ont réalisé les murs de cette église avec deux parements de pierres taillées de chaque côté et ont rempli le milieu par un bourrage de chaux, tuiles et moellons. Seuls les contreforts ont été entièrement bâtis en pierres taillées.

Description extérieure

La face Nord de l'Abbatiale, la plus belle, comporte une série de cinq contreforts larges et peu saillants. Chaque contrefort a été évidé en son sommet pour permettre l'écoulement des eaux de pluie. On aperçoit aujourd'hui les restes des chêneaux qui se terminaient par des gargouilles.

Un bandeau étroit avec glacis décore à mi-hauteur ce côté de l'édifice. Des trous çà et là représentent l'emplacement de boulins, d'autres sont l'oeuvre de vandalisme. Il est à noter que toute l'assise de l'Abbatiale repose sur d'énormes blocs de pierres froides. A la retombée de ce bandeau, les contreforts s'élargissent pour supporter la poussée de la voûte et, d'autre part, pour contrecarrer la déclivité du sol vers le Nord et l'Ouest.

Les fenêtres hautes et étroites, présentent des arcs trilobés. Seule la fenêtre située au-dessus du porche d'entrée est plus courte pour permettre la réalisation d'un large glacis, destiné à la protection du portail du ruissellement des eaux de pluie. Ce dernier chef d'oeuvre du monument s'ouvre au Nord.
Pour quelle raison ? Caprice des bâtisseurs ? Meilleure assise de l'édifice ?
Non, tout simplement, impossibilité de créer une porte côté sud, car la chapelle romane existante n'offrait aucune possibilité esthétique et architecturale à la réalisation d'une porte monumentale gothique. En outre, la configuration du terrain rendait impossible l'ouverture d'une autre porte dans le mur occidental, sans affaiblir l'édifice, voire le déséquilibrer à brève échéance. Il ne faut pas non plus oublier que ce portail Nord était la " Porte des morts ", par laquelle on amenait la moniale à sa dernière demeure, dans le cimetière attenant.

Ce portail, transition entre la fin du roman et la naissance du gothique (tardif dans le Midi), est d'une remarquable facture. Les voussures à profil torique encadrent un tympan sans ornements. Leurs retombées reposent de chaque côté sur six colonnettes à chapiteaux évasés, décorés d'une simple moulure, surmontés d'un bandeau. La dernière archivolte remonte sur des minces culs de lampe.
Le perron, mis au jour en 1980, a été restauré et mis en valeur. Il se présente actuellement dans son état primitif. Il se compose de quatre emmarchements en demi-lune et de cinq marches droites. Son diamètre est de six mètres. Nous trouvons là un mélange d'architecture assez insolite, mais encore une fois, il fallait s'adapter aux caprices du terrain.

Le chevet de l'Abbatiale comporte une série de contreforts plus étroits et plus rapprochés. De même conception que les autres, ils encadrent trois fenêtres tréflées. Là aussi, des glacis ont été aménagés pour l'évacuation rapide des eaux de pluie, dans le dessein de protéger la façade. Nous les trouvons non seulement sous les fenêtres mais également au bas du chevet, d'où est construite une barbacane, destinée à évacuer les eaux de pluie du cloître et les ablutions du prêtre, (voir Etude de l'eau).

La façade Sud est un mélange romano-gothique . En effet, une grande partie de la construction repose sur les solides assises de la chapelle romane. Le souci d'économie et les bâtiments existants permirent à l'architecte une réalisation esthétique et durable. Des trous de boulins et d'opes démontrent la multiplicité des travaux réalisés au cours des différents siècles, (voir Les trajets des Religieuses). Les encrages des toitures des couloirs menant aux dortoirs, de la salle capitulaire, des dortoirs eux-mêmes sont bien visibles.

Un clocheton avec un escalier hélicoïdal, dont il ne reste que quelques vestiges, accédait sur les voûtes de l'Abbatiale. Nous notons la présence de trois contreforts tout à fait différents des autres parties du monument, par l'apport de constructions antérieures. Plus minces et engagés dans la façade, ils n'ont d'utilité que dans leurs parties supérieures. Quatre fenêtres de tailles différentes éclairaient la nef. Chacune ayant été modifiée selon la fonction de l'habitation se trouvant au-dessous.

La façade occidentale, la plus haute, (14 mètres), présente deux larges contreforts et une rosace désaxée . En effet, la déclivité du sol vers le Nord et la construction des dortoirs, amenèrent les constructeurs à décaler le contrefort droit pour supporter la poussée de l'église et des bâtiments. Mais cette rosace se trouve bien sûr au milieu à l'intérieur de la nef.

Description intérieure

La nef, de large dimension, se divise en trois travées. Dans la dernière travée, les colonnettes ne descendent pas jusqu'au sol mais reposent à mi-hauteur sur un cul de lampe décoré en son extrémité d'un motif floral. L'autre motif est trop érodé et donc illisible. Toutes les nervures sont constituées par un tore entre deux baguettes. Les travées sont séparées par des piliers à faisceaux de colonnettes dont la plus saillante est décorée d'une tête humaine. Cette sculpture se continuait sur le pourtour de la nef, au nombre douze, retraçant les douze apôtres. L'érosion a malheureusement supprimé la plupart des visages, mais nous en voyons encore trois assez convenablement, et trois autres ont été entièrement refaits à l'identique.

L'abside, à sept pans est éclairée par trois baies géminées en arc de trèfle surmontées d'un quatre feuilles. Côté occidental, deux chapiteaux à feuilles d'hachante relèvent l'austérité de l'édifice.


Dans le choeur, à droite, se trouve la piscine. A gauche et au centre, deux enfeus destinés aux reliques des saints. Une banquette a été taillée à gauche et à droite du choeur pour pallier à la fatigue des moniales. D'autre part , nous trouvons dans le bas des murs de la dernière travée de l'église, des trous pour l'emplacement des stalles. Au-dessus d'autres petits trous réservés à la fixation des dossiers.

Le dallage a complètement disparu. Seules quelques pierres subsistent près des enfeus et attestent du niveau de ce dallage. L'alternance de l'appareillage est identique à l'extérieur sauf une rangée de deux pierres verticales avant le bandeau situé à mi-hauteur Il faut voir là une originalité de l'architecte qui a également réalisé le portail monumental exagérément grandiose par rapport au bâtiment et à la communauté.

Au centre du mur sud, une porte jadis en arc brisé, menait à la petite chapelle romane et au cloître. On y accédait par deux marches, puis un passage de deux mètres de long menait à une série de trois marches pour se hisser au niveau des bâtiments claustraux. La voûte s'étant écroulé très certainement au début du XVII° siècle, après l'abandon en 1514, il ne reste plus que les départs en encorbellement dans le vide, ornés de moulures.

La rosace actuelle a été le fruit d'une longue restauration d'un bénévole de notre Association. Aujourd'hui, décédé, il a travaillé plus de quatre cents heures pour réaliser cette ouvrage d'art. L'ancienne rosace, dont il ne restait plus grand chose sera exposée au futur Musée de Gigean.

Comme ses consoeurs, l'Abbatiale de Saint-Félix de Montceau ne présente qu'une seule nef, sans transept ni chapelles latérales. D'une part les religieuses n'avaient pas le droit de célébrer la messe, d'autre part, l'architecture Méditerranéenne a voulu conserver son éthique. Le soleil, les grandes ouvertures, étaient un handicap pour supporter la chaleur. Le gothique a pris naissance tardivement dans le Midi de la France. Les églises hautes et étroites, les nefs uniques, les petites ouvertures étaient le privilège du Sud de la France.